Interview de Josué Kambasu, FECOPEILE

 Dans PPI
Josué, Bonjour. Vous êtes le secrétaire général de la Fecopeile.
Pouvez-vous nous dire un mot sur cette organisation et son histoire très spécifique?

FECOPEILE, signifie « Fédération des Comités des Pêcheurs Individuels du Lac Edouard ». Ce syndicat de pêcheurs a une histoire atypique et intervient autour de la question de la gestion durable du Lac Edouard, un lac de 215.000 ha, situé au cœur du Parc National des Virunga (780 000 ha), qui constitue un site du patrimoine mondial, et le premier parc africain créé en 1925.

Ce lac, à cheval entre la RDC et l’Ouganda, est d’une richesse écologique remarquable et abrite de nombreuses espèces de poissons mais également d’oiseaux migrateurs ou résidents.

Un nombre important de personnes dépendent directement des nombreux services écosystémiques rend

us par le lac particulièrement les communautés de pêcheurs et ce dernier a toujours été, de par son histoire même et ses enjeux, un territoire conflictuel entre parties prenantes.

La FECOPEILE a été créée officiellement en mars 2012 avec pour objectif global de défendre les droits et intérêts des pêcheurs et plus globalement des communautés riveraines dépendantes des ressources halieutiques du lac Edouard.

L’organisation regroupe à l’heure actuelle l’ensemble des pêcheurs individuels et artisanaux du lac Edouard dans sa partie congolaise, soit environ 5.600 personnes réparties dans 3 pêcheries (Vitshumbi, Kiavinyonge et Nyakakoma) au sein desquelles existent des comités de pécheurs. Les organisations de femmes intervenant dans le traitement et le commerce des poissons issus du lac font également partie de l’organisation.

Pour atteindre ses objectifs, la FECOPEILE travaille à la mise en place d’un cadre de concertation visant une planification commune et concertée des actions menées par les différentes parties prenantes du Lac Edouard.

L’organisation mène également des actions de plaidoyer pour prôner une pêche responsable garantissant la pérennité des moyens d’existence des communautés locales. L’objectif du lobbying  mené est de lutter contre les activités illégales et contre la pollution des eaux du Lac Edouard, des rivières avoisinantes et du bassin versant.

Depuis le démarrage des activités, quelles ont été vos axes d’actions prioritaires ? Quelles sont les actions déjà menées et celles dont vous êtes le plus heureux et fier ? Quelles sont les principales contraintes, les principaux problèmes auxquels les pêcheurs du Lac Edouard sont aujourd’hui confrontés? En quoi l’organisation collective proposée par la FECOPEILE contribue-t-elle à les résoudre en partie?

Les contraintes rencontrées par les pêcheurs du Lac Edouard sont multiples, le contexte que connait la province du Nord Kivu étant extrêmement complexe.

On peut à ce stade citer les problèmes d’insécurité. Les pêcheurs sont en effet menacés par les groupes rebelles Maï Maï dans la partie sud-ouest du Lac (dans les zones de Ndwali, Chanika, Ngazi, Muuma, Kakindo et Marestaurant,…).

A titre d’exemple, en novembre 2018, 5 pirogues, 2 moteurs et 15 pêcheurs ont été kidnappés et emportés dans la brousse par ces derniers. Il a fallu engager une longue négociation en vue de libérer les victimes.

Chaque pirogue a été rendue moyennant une rançon de 100.000  francs congolais, idem pour les moteurs.

Toujours en novembre 2018, un groupe de bandits armés a tenté de capturer des habitants de la pêcherie de Vitshumbi. Un pêcheur a été tué, l’autre gravement blessé, au cours des affrontements. Ces deux cas ne sont que des exemples parmi tant d’autres.

La pêche illicite est également un problème majeur sur le lac. Celle-ci est soutenue par les groupes armés, qui tirent des revenus substantiels de cette dernière, ainsi que parfois par certains services étatiques et les militaires présents dans la zone, ce qui rends le problème particulièrement complexe à résoudre.

Toujours en lien avec ces aspects de légalité, la multiplication des pêcheries constitue également un problème, celles-ci étant passées de 3 à 12, sans qu’aucun contrôle ne soit à l’heure actuelle observé. Le nombre de pirogues est ainsi passé de 700 à plus de 3.000 et l’utilisation de techniques prohibées s’observe de plus en plus fréquemment.

Tous ces problèmes sont interconnectés et il convient de noter qu’ils ont tous un lien avec la question du manque d’application de la loi et des règlementations en vigueur.

Combinés à l’explosion démographique dans les enclaves de pêche à l’intérieur du PNVi (et ce en raison de l’insécurité grandissante autour de l’AP), ces phénomènes entrainent une baisse de la capacité productive du lac extrêmement problématique. Cette situation pousse un bon nombre des pêcheurs congolais à aller pêcher dans la zone transfrontalière où ils sont soumis à des menaces et des arrestations par la force marine ougandaise. A l’heure actuelle, au moins 97 pêcheurs congolais sont arrêtés et condamnés en Ouganda dans la prison de MUBUKU.

Ce phénomène a un impact final négatif à la fois sur la pauvreté et l’insécurité alimentaire, deux problématiques majeures dans cette région. L’ensemble de ces éléments vous donne un aperçu de l’enjeu lié à la gestion durable et parcimonieuse de l’écosystème du Lac Edouard.

 

En quoi la création de la FECOPEILE contribue-t-elle à résoudre en partie ces problèmes ?

De par ses actions, la FECOPEILE cherche à lutter contre les phénomènes listés plus haut, notamment en formant et sensibilisant les différentes parties prenantes relatives au secteur pêche sur l’importance de la gestion durable des ressources halieutiques du Lac Edouard, en rappelant notamment que leur bien-être et leurs moyens d’existence dépend fortement de celles-ci.

Des actions de plaidoyer et de lobbying sont régulièrement menées par notre fédération en vue de mobiliser les habitants de la zone contre les potentiels projets pouvant occasionner une pollution environnementale et/ou une destruction massive des ressources naturelles et ce sans respecter les lois nationales et les conventions et engagements internationaux signés par notre pays. Nous pensons ici par exemple aux potentiels projets pétroliers à l’intérieur du PNVi.

Pour parvenir à mener notre plaidoyer, nous menons un monitoring permanent sur la destruction des ressources halieutiques et l’insécurité causée par les Maï Maï et ce en vue d’obtenir des données fiables pouvant orienter nos actions auprès des institutions compétentes. Nous sommes donc à l’heure actuelle en possession d’une quantité importante d’informations concernant l’écosystème du Lac Edouard.

Nous souhaitons également mener dans le futur des projets agro-pastoraux autour de l’AP afin de lutter contre l’explosion démographique dans les pêcheries au lac Edouard et à l’intérieur même du parc.

 

Parlez-nous de votre projet PPI en quelques mots.

Le lac subit de fortes pressions du fait notamment de l’inexistence de politique de suivi scientifique de la population piscicole et de l’octroi de titres créant les pêcheries sur le lac Edouard sans respect de la procédure prévue à ce sujet.

A cela s’ajoute la présence accrue des miliciens Maï Maï et d’un réseau de pêcheurs clandestins pratiquant la pêche suivant des techniques interdites dans les zones des baies et frayères du lac afin de s’enrichir rapidement sans aucune considération de durabilité.

Enfin, l’ordonnance autorisant l’exploration et l’exploitation du pétrole dans le bloc V du rift Albertin pourrait dans un futur proche impacter fortement la majeure partie du PNVi.

Au regard de ces éléments, le projet PPI de la FECOPEILE vise à promouvoir la gestion durable des ressources halieutiques du lac Edouard par l’amélioration de la connaissance sociobiologique des pêcheries et par le soutien au développement de la pêche durable via la promotion de la bonne gouvernance locale. Pour y parvenir nous travaillons sur le déploiement de stratégies de communication, organisons des campagnes de sensibilisation ainsi que des réunions d’échanges avec les pêcheurs.

Le projet devrait ainsi permettre de développer un système efficient et fiable de suivi permanent des données statistiques relatives aux pêcheries, notamment à travers le développement d’une application de suivi participatif des prises de pêche et activités relatives au sein de chaque pêcherie. L’application a été développée avec la collaboration d’une autre ONG partenaire du PPI au Cameroun, AMMCO, celle-ci ayant déjà dans le passé développé ce type d’application dans le cadre d’activités de suivi participatif des mammifères marins. Un partenariat avec l’ICCN, gestionnaire en dernier ressort du lac, celui-ci étant dans le PNVi est en cours à ce sujet.

 

Qu’attendez vous comme soutien, aussi bien du grand public que des partenaires techniques et financiers à ce sujet?

Nous devons parvenir à plus impliquer le grand public, afin d’obtenir un plus grand soutien de ce dernier à notre cause, qui ne concerne pas uniquement les pêcheurs du lac, ni les habitants Nord Kivu. Notre combat, notamment en cours contre l’exploitation pétrolière, concerne le monde entier, le PNVi étant en effet un joyau environnemental, classé au Patrimoine Mondial de l’UNESCO. Il constitue le premier parc africain créé, abrite les dernières populations de gorilles des montagnes et constitue un écosystème très spécifique.

La sauvegarde du lac Edouard constitue par conséquent un combat pour un bien commun, que les générations futures devraient avoir le droit de voir. Nous devons par conséquent monter en puissance en matière de plaidoyer et parvenir à obtenir un soutien planétaire à la lutte que nous menons contre sa destruction, notamment via une potentielle exploitation pétrolière à venir.

Il en va de même quant aux partenaires techniques et financiers, qui devraient selon moi être réunis derrière nous pour nous aider à promouvoir une gestion durable et rationnelle de cet écosystème particulier et exceptionnel.

Nous devons à l’heure actuelle obtenir l’annulation de l’ordonnance octroyant à des sociétés pétrolières le droit d’exploiter le pétrole au sein du bloc V  et d’une partie du bloc IV à l’intérieur du PNVi. L’éventuelle exploitation du pétrole dans le bloc NGAdji en Ouganda doit également être combattue car elle aurait également des impacts négatifs sur la biodiversité du PNVi. Le lac Edouard est compris dans ces blocs et l’exploitation serait une véritable catastrophe et un signal terrible envoyé au monde entier en matière de protection de la Nature.

 

Plus d’informations

La fiche de présentation du projet porté par FECOPEILE

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