Interview d’Emmanuelle Sarat

 Dans PPI

Coordinatrice de NatureXpairs et Membre du Groupe de travail Pays en développement & Biodiversité

Emmanuelle, vous êtes aujourd’hui Coordinatrice de NatureXpairs. Pouvez-vous vous présenter, et préciser notamment les raisons qui vous ont conduit à travailler dans la protection de la nature ? 

J’ai passé mon enfance dans de jolis coins : Grenoble et ses montagnes, le Var et ses belles forêts méditerranéennes, puis, un grand saut vers la Californie, où j’ai eu la chance de grandir pendant 4 ans. C’est à cette époque que j’ai découvert les grands espaces, la nature encore très sauvage aux alentours de San Francisco, l’océan Pacifique, les forêts de séquoias, les déserts, et surtout les grands parcs américains. J’ai toujours aimé la nature : en primaire, je remplissais déjà les dictionnaires de plantes pour faire des herbiers, je collectionnais les plumes, les insectes… Aux Etats-Unis, quand nous visitions les parcs nationaux, je participais au programme « Junior ranger » et j’étais très fière d’arborer le badge qui nous était attribué en récompense ! C’est donc très naturellement que j’ai orienté mes études vers le métier d’ingénieur forestier puis ma carrière professionnelle vers la protection de la nature.

Quel est votre parcours professionnel et quelles sont vos plus belles expériences ?

Pendant mes études, l’appel des grands espaces et une soif de découverte d’autres cultures m’ont orientée vers l’option « gestion des écosystèmes forestiers tropicaux » proposée dans ma formation d’ingénieur forestier. Ce parcours m’a permis d’acquérir des notions de sociologie et de découvrir des approches inclusives de gestion des milieux et des ressources naturelles, qui sont indispensables dans la pratique de mon métier aujourd’hui. Il marque aussi le début d’une belle expérience en Guyane, où j’ai pu travailler sur les pratiques de chasse de différentes communautés et sur l’établissement d’un dialogue autour de la mise en place d’une réglementation dédiée, encore balbutiante sur le territoire à cette époque (quelques quotas mais pas encore de permis de chasser). Être confrontée à la multiplicité des pratiques culturelles et à la réalité des enjeux socio-écologiques sur ce territoire a été une première expérience enrichissante et surtout inoubliable.

Mon parcours s’est ensuite poursuivi en métropole, à l’Office national de la Chasse et de la Faune Sauvage (devenu une composante de l’OFB en 2020), dans l’animation de réseaux d’acteurs autour de deux espèces protégées emblématiques du bassin de la Loire, le castor et la loutre. Il s’agissait de mettre en lien les diverses communautés naturalistes s’intéressant à ces espèces pour mutualiser les connaissances, se former à des protocoles de suivi communs, et à travailler ensemble sur la résolution de conflits homme-faune sauvage. Car si le Castor et la Loutre ne sont pas de grands prédateurs, ces deux espèces en reconquête de leurs territoires chamboulent les usages humains (le castor et sa construction de barrages provoquant des inondations et la loutre pouvant impacter certaines piscicultures).

Trois ans plus tard, cette animation de réseau s’est développée sur une thématique préoccupante pour les gestionnaires d’espaces naturels : les espèces exotiques envahissantes. J’ai alors intégré l’équipe « Espèces » du Comité français de l’UICN, pour coordonner un groupe de travail national dédié aux invasions biologiques dans les milieux aquatiques. Ce groupe de travail a pris de l’ampleur et s’est transformé en Centre de ressources en 2017. Nous avons renforcé l’équipe, élargi le réseau d’acteurs, développé de nombreux outils de partage et d’acquisition de connaissances, mis en place une offre de formation, étendu le périmètre du centre de ressources aux espèces exotiques envahissantes marines et resserré les liens avec le réseau « Espèces exotiques envahissantes outre-mer » piloté par le Comité depuis 2005.

Puis, après presque 9 ans en tant que coordinatrice de ce beau dispositif, j’ai eu envie d’élargir mes horizons et de renouer avec une approche multiculturelle de préservation de la biodiversité. En mai 2022, j’ai rejoint Réserves naturelles de France pour développer une initiative de coopération internationale autour des aires protégées, mobilisant les gestionnaires dans une approche de partage d’expérience entre pairs.

Atelier à Madagascar pour identifier les échanges entre pairs à déployer entre aires marines de l’Océan Indien Occidental dans le cadre du programme Varuna © A.Chane-Yook

Pourquoi avez-vous décidé de vous engager dans la conservation de la biodiversité à l’international et en particulier dans les pays en développement ?

La biodiversité ne connait pas de frontières et dialoguer avec les autres pays sur sa protection m’a toujours paru comme une évidence. C’était d’autant plus vrai sur la thématique des espèces exotiques envahissantes, qui voyagent avec l’homme. Je me suis tournée vers l’international d’abord par curiosité, pour comprendre comment d’autres pays abordent les différentes problématiques, et voir quelles solutions ont été mises en place, pour s’en inspirer. Puis, pour s’enrichir mutuellement et partager nos réussites, mais aussi nos échecs. Ayant été au contact de gestionnaires d’espaces naturels pendant toute ma vie professionnelle, j’ai toujours apprécié leur humilité, leur capacité à agir à leur niveau, sur les territoires qu’ils chérissent, en toute modestie. Leur curiosité et leur recherche permanente de solutions me donne envie de jouer ce rôle de passerelle entre les gestionnaires de différents pays. Souvent, ils n’osent pas aller au contact de leurs pairs, encore plus dans les pays en développement. Trop éloignés, parfois complexés de ne pas connaitre la langue ou la culture, ou de n’avoir d’expérience qu’au sein de leur territoire, il faut les accompagner pour aller au contact des autres et les rassurer sur le fait qu’ils disposent d’une véritable expertise, qui intéresse et qu’ils sont en mesure de transférer à leurs pairs. Je fais ce constat pour tous les gestionnaires d’aires protégées que je côtoie, un peu partout dans le monde. J’aime jouer ce rôle de facilitatrice et révéler ces compétences cachées, pour aboutir à un enrichissement mutuel des pratiques. Mais c’est voir de belles aventures humaines débuter, et parfois de l’amitié entre gestionnaires de différents pays, qui m’anime le plus.

Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez aujourd’hui et quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontée dans le cadre de vos actions ? Les réalisations dont vous êtes la plus fière ?

Notre initiative, hébergée par Réserves naturelles de France, NaturExpairs, « The French Hub for Protected areas and people”, est récente et nous sommes en pleine phase de construction. C’est une alliance de gestionnaires français d’aires protégées avec des compétences complémentaires, dédiée à la préservation de la biodiversité. Nous fournissons une expertise française au service des partenaires à l’international et enrichissons nos pratiques grâce à l’expérience d’autres pays et au partage entre pairs. 

Depuis 2022, de premiers projets nous ont permis de nous projeter concrètement dans le monde de la coopération internationale. Nous contribuons régulièrement à l’organisation d’accueils de délégations étrangères et portons un premier projet de coopération multi-pays dans le cadre du programme Varuna. Nous appuyons la structuration d’un réseau de gestionnaires d’aires marines protégées dans le sud-ouest de l’Océan indien. Pour cela, nous travaillons tout particulièrement sur le transfert de compétences entre aires marines, pour renforcer les capacités. Il a fallu tout d’abord faire un état des besoins et des expertises existantes au sein des différents pays, puis réunir tous les gestionnaires pour faire émerger collectivement une feuille de route régionale sur les actions prioritaires à mettre en place. Pour donner vie à cette feuille de route, notre rôle est de les mettre en contact, de faire émerger et de permettre des échanges entre pairs. Compagnonnage, tutorat, projets d’intérêt collectif, ateliers, journées d’échange, formations, sont autant de dispositifs déployés par nos soins et avec les gestionnaires dans les différents pays pour consolider le réseau, pour des aires marines efficaces et reconnues dans le sud-ouest de l’Océan indien. C’est un beau challenge de contribuer à faire émerger la voie des aires marines dans cette région. Ce qui est difficile, c’est que les aires marines sont confrontées à des enjeux multiples : connaissance et suivi de la biodiversité, développement d’activités génératrices de revenus respectueuses de l’environnement, inclusion des communautés locales dans leur gouvernance, adaptation aux changements climatiques, respect de la réglementation, tout cela dans des contextes socio-économiques très différents d’une île à l’autre. Les gestionnaires, sentinelles de la nature, ont tant à faire avec si peu de moyens, il faut les encourager et les valoriser. Ce dont je suis la plus fière, c’est d’avoir réussi à construire cette feuille de route régionale collective et d’avoir permis à des gestionnaires de se rencontrer pour la première fois. Il y a maintenant des visages sur ce réseau qui grandit et notre rôle de trait d’union, de catalyseur, est identifié. C’est très gratifiant et cela nous encourage à faire pareil sur d’autres thématiques et dans d’autres régions du monde.

© Expertise France

Depuis 2023, nous animons le groupe de travail français pour la Coalition pour la Haute Ambition pour la Nature et les Peuples (HAC N&P). Nous avons pour mission de rassembler les acteurs des aires protégées pour recenser et valoriser l’expertise française mobilisable en matière d’aires protégées, pour alimenter la plateforme de match-making de la HAC N&P. C’est tout d’abord un travail d’identification de compétences mais aussi d’animation de coopérants français autour des aires protégées. Grâce à la HAC N&P, l’objectif est de servir de « Hub français » pour faire émerger et accompagner des projets de coopération autour des aires protégées et faire circuler l’information sur ce que fait la France sur ce sujet. Un volet beaucoup plus éloigné des actions de terrain, mais indispensable pour les faire émerger. Ce qui est assez génial avec NatureXpairs, c’est justement de discuter dans la même journée avec un gestionnaire d’aire protégée passionné et avec le secrétariat de la HAC de questions stratégiques et politiques pour soutenir la cible 3 du nouveau cadre mondial pour la biodiversité. Un grand écart qui nous donne une vue à 360 degrés !

Quel est votre espèce favorite et pourquoi ?

Grande et difficile question ! Il y a tellement d’espèces fascinantes sur notre planète, dur de n’en choisir qu’une. Elles suscitent en moi émerveillement, curiosité, apaisement, attirance et même parfois dégoût et peur ! C’est comme l’Art, elles ne laissent pas insensibles. Si vraiment il fallait en choisir une, je dirais le Lotus sacré. Parce que j’aime ses couleurs, la forme d’arrosoir de son réceptacle floral, la beauté de ses fleurs, ses feuilles hydrofuges sur lesquelles glissent les gouttes d’eau. Une espèce commune, qui a su s’adapter à l’environnement de l’homme, et que je trouve apaisante dans ce monde parfois stressant.

Comment voyez-vous l’avenir de la planète et le nombreux défis qui se posent aujourd’hui pour concilier à la fois les enjeux de protection de la nature et de développement ?

Pour être honnête, pas très sereinement. J’ai l’impression que nous sommes dans une course mondiale pour laquelle le chrono est lancé mais où une bonne partie des coureurs est encore à se demander s’il va participer ou pas. La prise de conscience de cette crise de la biodiversité que nous vivons est loin d’être totale, les leviers pour l’action encore trop faibles. Pour que le respect et la préservation de la biodiversité soient ancrés dans chacun d’entre nous, il faut un changement sociétal profond. Je suis persuadée que nous y contribuons, au travers de nos actions et des nombreuses initiatives qui voient le jour. En tant qu’acteurs de la biodiversité, il nous faut travailler avec les acteurs du développement, sur l’éducation à la nature et le développement d’activités économiques respectueuses de l’environnement et bénéfiques aux communautés locales. Sans considérer ces deux composantes clés, nos efforts resteront malheureusement insuffisants.

Que vous apporte votre participation au groupe de travail Pays en développement et Biodiversité et vers quelles actions le collectif doit se tourner aujourd’hui ?

C’est pour nous une opportunité unique de rencontrer et d’échanger avec l’ensemble des acteurs de la biodiversité qui coopèrent à l’international. Démarrant dans le domaine, c’est une très belle porte d’entrée. Nous sommes ravis de faire connaissance avec les membres et de mieux comprendre les enjeux auxquels ils sont confrontés. La dimension humaine de ce groupe permet un cadre de travail où la confiance et la bienveillance règnent, c’est important pour souder la communauté sous-jacente. Les membres sont acteurs des projets du groupe, nous nous sentons écoutés et mobilisés pour y contribuer. Le collectif doit continuer à vivre et son tissu humain à se renforcer, c’est comme cela que nous pourrons parler d’une seule voix et déployer des actions impactantes.

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