La libre évolution : une stratégie de gestion des milieux naturels à mieux connaître et développer en France
Le Comité français de l’UICN organise les 8 et 9 janvier 2024, en partenariat avec la Commission nationale française pour l’UNESCO, un séminaire sur la libre évolution des milieux naturels au siège de l’UNESCO. Cet événement a pour objectif de promouvoir l’intérêt de ces territoires caractérisés par une absence de présence et d’intervention humaines, ou minimales, afin de favoriser la libre expression des processus naturels.
Cette journée de travail a également pour but de faire connaître la libre évolution et ses enjeux (première journée) et d’identifier les axes de travail communs pour les réseaux de gestionnaires (ateliers de la deuxième journée). Les initiatives issues de ce séminaire permettront de valoriser ce concept à l’UNESCO et de créer des synergies au sein du réseau des gestionnaires et à un public non professionnel. Ces riches retours d’expériences ont pour but d’identifier les freins et leviers à la mise en œuvre de stratégies de libre évolution, locales et nationale, afin de favoriser ce type de gestion.
Le Comité français de l’UICN organise dans le cadre du groupe de travail « wilderness et nature férale » ce séminaire, dont le programme a été conçu avec les différents réseaux d’espaces protégés : l’ONF (Office national des forêts), la Fédération des Parcs naturels régionaux de France, Réserves naturelles de France, la Fédération des Conservatoires d’espaces naturels, le Conservatoire du littoral, et avec le soutien de l’Office français de la biodiversité et de la Fondation Famille Lemarchand.
La libre évolution : définition et enjeux
La libre évolution consiste à favoriser la libre expression des processus écologiques. Elle vise à encourager le retour de processus naturels dans les écosystèmes et laisser la nature se développer spontanément. Elle peut se pratiquer aussi bien dans des espaces à haute naturalité que dans des espaces ayant été transformés par les activités humaines. Cette approche, loin de sacraliser un idéal de nature, reconnaît l’influence passée des activités humaines dans la modification des milieux.
Aujourd’hui, de nombreuses initiatives fleurissent au sein des différents réseaux de la conservation de la nature : programmes de forêts en libre évolution des Conservatoires d’espaces naturels de Normandie et d’Auvergne, réseau de réserves biologiques intégrales de l’Office national des forêts, implication de Réserves naturelles de France et du Conservatoire du littoral sur la libre évolution, mise en place des réserves de vie sauvage de l’ASPAS, organisation d’un atelier lors du congrès annuel des parcs naturels régionaux, création de la Coordination libre évolution…
Les réflexions sur la libre évolution font partie d’un mouvement d’intérêt croissant en faveur de la nature sauvage depuis quelques années en Europe, qui se traduit par la mise en œuvre d’actions concrètes. L’objectif est de retrouver des dynamiques spontanées au sein des écosystèmes. De nombreuses expérimentations sont ainsi menées en France et en Europe, allant de la réintroduction d’espèces clés de voûte dans le cadre de stratégies de rewilding, aux approches plus passives visant à laisser évoluer les milieux sans intervention humaine.
Retrouver des écosystèmes fonctionnels participe à assurer la résilience des milieux face au changement climatique et à l’érosion de la biodiversité. Les institutions s’emparent aussi du sujet : en 2009, une résolution du Parlement européen incite les états membres à agir en faveur de la wilderness (« zone de nature vierge »), en identifiant et en protégeant ces espaces, et la Stratégie européenne de la biodiversité vise 10% d’espaces terrestres et marins sous protection stricte, c’est-à-dire avec des processus naturels majoritairement non perturbés par les activités humaines. La notion d’intégrité écologique des écosystèmes figure également dans le nouveau cadre mondial de la biodiversité, adoptée fin 2022 par les Etats parties à la Convention sur la Diversité biologique. En France, la Stratégie nationale pour les aires protégées 2030 vise à assurer la protection forte de 10% du territoire. Le Comité français de l’UICN porte également un travail de cartographie des espaces de haute naturalité potentielle en France (CartNat), publié pour les milieux terrestres et qui s’étend aujourd’hui aux milieux marins.
La libre évolution revêt une dimension éthique et philosophique forte, mise en exergue par Baptiste Morizot dans son ouvrage Raviver les braises du vivant. Elle invite à « repenser les systèmes de valeurs attachés à la nature et la possibilité de lui laisser une plus grande autonomie », selon Rémi Beau et Virginie Maris, philosophes de l’environnement. Alors que la crise environnementale actuelle questionne notre capacité à cohabiter avec le vivant, la libre évolution interroge le rapport que nos sociétés entretiennent avec les non humains. Ainsi, « la libre évolution n’est pas non plus un lâcher-prise candide : c’est une pratique diplomatique », énonce Baptiste Morizot. Elle s’inscrit au sein des réflexions relatives à l’attention portée aux autres êtres vivants par l’intermédiaire d’actions concrètes sur le terrain, comme l’atteste l’ouvrage Convivialité. L’alliance avec la nature de Patrick Blandin, Frédéric Ducarme et Damien Marage, membres du groupe de travail « éthique en action » du Comité français de l’UICN.
La page wilderness du Comité français de l’UICN
Photo bandeau : Réserve Naturelle Nationale de la Forêt de la Massane © Diane Sorel