Interview de Victor Narat

 Dans PPI

Membre du bureau du Groupe de travail Pays en développement & Biodiversité

© Valérie Zeitoun, Institut Pasteur

Victor, vous travaillez aujourd’hui en tant que chercheur au sein du laboratoire d’éco-anthropologie (CNRS/MNHN/Université de Paris). Pouvez-vous vous présenter, et préciser notamment les raisons qui vous ont mené à conduire des recherches sur la conservation de la nature ?

Primatologue, je travaille sur les interactions entre les humains, l’environnement et les animaux (plus précisément sur les Grands Singes), sur les questions de conservation de la biodiversité et de santé globale. La conservation de la nature est mon objet de recherche en termes de dynamiques politiques, sociales ou écologiques mais aussi un mode d’action avec la formulation de conseils à des partenaires.

C’est l’amour des animaux qui m’a poussé vers ce secteur. Né en 1985, je fais partie de la « génération WWF », j’ai été sensibilisé à la conservation de la nature depuis tout petit, puis vers l’âge de 10-15 ans par l’intermédiaire des documentaires animaliers. Au début, je souhaitais comprendre les Bonobos en tant qu’espèce puis après ma première expérience de terrain en République démocratique du Congo (RDC) en 2008, je me suis plutôt intéressé au contexte local, au socio-écosystème.

Quel est votre parcours professionnel et quelles sont vos plus belles expériences ?

En 2011, après avoir été diplômé de l’école vétérinaire de Nantes et un master 2 « Environnement, Développement, Territoires et Sociétés » au MNHN, j’ai réalisé une thèse universitaire sur les relations bonobos-habitats-humains en RDC (soutenue en 2014 au MNHN). Après un an en tant qu’ATER, j’ai rejoint en post-doctorat l’Institut Pasteur sur les maladies émergentes en Afrique Centrale, pour analyser les contacts entre humains et animaux et les risques d’émergences de maladie. Depuis 2018, je suis chercheur permanent au CNRS au sein du laboratoire d’éco-anthropologie (CNRS/MNHN/Université de Paris).

Ma plus belle expérience est ma première mission en RDC en 2008 car c’était mon premier voyage, ma rencontre avec l’ONG congolaise Mbou Mon Tour. Depuis mes 15 ans, je voulais travailler sur les bonobos donc dans le cadre de mes études vétérinaires et de mon stage à l’étranger obligatoire de 4 semaines, c’était l’occasion d’aller en RDC. Les rencontres faites lors de ce voyage m’ont fait prendre conscience que ce qui m’intéressait c’était la complexité du contexte humains-bonobos. Ce voyage a donc orienté mon parcours professionnel vers la conservation communautaire, l’implication des populations humaines dans la conservation.

Pourquoi avez-vous décidé de vous engager dans la conservation de la biodiversité à l’international et en particulier dans les pays en développement ?

Tout d’abord car mon point d’entrée dans la conservation a été les bonobos et par conséquent la RDC. Puis un peu plus largement l’Afrique centrale lors de mon expérience en post-doctorat avec des missions au Cameroun. J’ai une attirance particulière pour l’Afrique centrale qui est une région très intéressante du point de vue biodiversité et santé. C’est aussi une région fantasmée par les occidentaux, sans connaissances des dynamiques historiques très riches de ce territoire. Si l’on s’intéresse à ces questions, on a une appréciation complétement différente de cette région.

Le paysage de mosaïque forêt-savane dans la Chefferie des Batéké Nord © V. Narat

Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez aujourd’hui et quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confronté dans le cadre de vos recherches ? Les réalisations dont vous êtes le plus fier ?

Aujourd’hui, je travaille sur 4 grands types de projets. Le premier, depuis 2008-2010, est l’étude de long terme sur les bonobos (écologie, socialité, santé, statut de conservation…) rendue possible par la communauté de bonobos que nous avons habitué à la présence humaine avec Mbou-Mon-Tour (ce qui prend plusieurs années !). Cela nous permet de faire des observations quotidiennes des comportements des bonobos. Le deuxième concerne les contacts humains-animaux en Afrique centrale (à quelle fréquence, quels types de contacts, etc…) afin de mieux les conceptualiser et comprendre les risques associés aux différents types de contacts. Le troisième a pour sujet l’anthropologie de la conservation (au niveau mondial) avec l’animation d’un groupe de travail sur la conservation communautaire des primates au sein de la Société Francophone de la Primatologie (SFDP). L’objectif est de définir ce qu’est la conservation communautaire au niveau mondial, qu’entends-on par ce concept ? Quels sont les cadres juridiques le concernant ? Etudier les différences entre sa définition théorique et son utilisation pratique. Enfin, le quatrième projet de recherche a une entrée changements climatiques. Il vise à étudier les dynamiques d’habitat des bonobos et des humains dans le passé et son évolution sur le temps long. La question principale dans ce dernier volet concerne la migration des bonobos en lien avec la connectivité des forêts à une échelle régionale. C’est de la recherche appliquée à la conservation, le but étant de formuler des recommandations précises importantes pour orienter les acteurs de la conservation de cette région.

Femelle bonobo adulte (enceinte) se reposant dans un parasolier, dans un champ en jachère © V. Narat

Les principaux défis auxquels je suis confronté sont principalement les financements pour mener à bien mes recherches, mon terrain d’étude étant éloigné et par conséquent le transport onéreux. Il y a aussi une instabilité potentielle des sites d’études qui ajoute une difficulté à maintenir un projet de recherche sur une communauté de bonobos sur le temps long. De plus en plus de questions éthiques apparaissent, nécessaires et positives mais qui complexifient le travail en nécessitant davantage de délais, de financements, par exemple avec l’application de la RGPD. Enfin, la collecte, l’acheminement et le transport des échantillons biologiques pour les recherches sur les contacts et la santé constituent un défi à part entière.

Je suis fier de toutes mes réalisations étant donné ma liberté d’action en tant que chercheur, j’étudie ce qui m’intéresse. Toutefois, s’il fallait choisir une réalisation en particulier, ce serait d’avoir participé à habituer une communauté de bonobos nous permettant aujourd’hui de réaliser un suivi de long terme en y associant le socio-écosystème. Nous avons ainsi 10 ans de données et de recul sur les bonobos, les pratiques et savoirs des populations locales mais aussi les conséquences du développement de la conservation communautaire sur ce socio-écosystème en RDC.

Quel est votre espèce favorite et pourquoi ?

Même si je suis attendu sur le bonobo, je dirais l’humain. C’est passionnant d’étudier les relations entre les sociétés humaines et leur environnement. Il est capable de très belles réalisations, même si bien sûr c’est loin d’être toujours le cas !

Comment voyez-vous l’avenir de la planète et les nombreux défis qui se posent aujourd’hui pour concilier à la fois les enjeux de protection de la nature et de développement ?

Bonne question ! L’avenir de la planète dépend de l’échelle de temps considérée. Je suis raisonnablement optimiste. Je suis conscient des défis mais ils sont liés aux excès du néolibéralisme, système dont la pandémie a révélé ses fragilités, de plus en plus visibles (énergie, inégalités…). Beaucoup de personnes se mobilisent pour changer de système et résoudre les défis actuels, ce qui donne espoir.

Les pisteurs et les assistants scientifiques de la forêt de Manzano © F. Pennec

La vraie question pour concilier enjeux de protection de la nature et de développement c’est : qui décide de protéger quoi, pourquoi et comment ? C’est uniquement par ce questionnement que la protection de la nature intégrant le développement local au sens large peut être efficace.

Que vous apporte votre participation au groupe de travail Pays en développement et Biodiversité et vers quelles actions le collectif doit se tourner aujourd’hui ?

La conservation étant un de mes objets de recherche, ma participation au groupe de travail me permet d’acquérir une meilleure connaissance de la diversité des acteurs français agissant dans la conservation de la biodiversité dans les pays en développement mais aussi d’appuyer la question de l’intégration des populations locales grâce à ce lieu d’échanges.

Aujourd’hui, le collectif doit se tourner vers ce qui répond au mieux aux besoins des membres, soit améliorer la visibilité des acteurs français et permettre l’essor d’un guichet de financements adapté. A titre individuel, je suis intéressé pour prendre part à des échanges sur l’anthropologie de la conservation et comment cela permet de se questionner sur ses pratiques.

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