Interview de Sébastien Pinchon

 Dans PPI

Président du Groupe de travail Pays en développement & Biodiversité

Sébastien Pinchon dans le massif de Termit, Niger © Noé

Sébastien, vous travaillez aujourd’hui en tant que responsable des opérations au sein de Parcs de Noé. Pouvez-vous vous présenter, et préciser notamment les raisons qui vous ont conduit à travailler dans la conservation de la nature ?

J’ai étudié la biologie avec une option marine à l’université. J’ai toujours été passionné par la mer et les grands espaces sauvages. J’ai eu la chance de vivre trois mois à Mayotte en 1988 ce qui m’a ouvert au monde, et accru mon attrait pour l’Afrique. Je suis également passionné par les cétacés, que j’ai étudié, mais j’ai arrêté mes études en 3ème cycle car je souhaitais privilégier le travail sur le terrain. Ce sont les raisons pour lesquelles je travaille dans la conservation de la nature : ma passion pour l’environnement, la faune, les grands espaces sauvages et le continent africain.

Quel est votre parcours professionnel et quelles sont vos plus belles expériences ?

A la suite de mes études, je suis parti deux fois six mois en République du Congo (RC) pour accompagner un ami primatologue dans son travail au sein de l’association HELP, au sein du parc national de Conkouati-Douli. Par la suite, de 2004 à 2009, j’ai été volontaire pour la conservation des baleines à bosse dans l’Océan Indien (Madagascar, Mayotte, Comores, Djibouti) avec l’association Megaptera et Cetamada pour laquelle j’ai contribué à sa création. J’étais en charge de collecter des données sur les baleines, de coordonner les volontaires, de conduire des sorties écotouristiques…  Après 8 ans de bénévolat/volontariat, j’ai rejoint un réseau d’associations de médiation scientifique et d’éducation populaire en France, Planète Sciences. J’y ai été responsable national de l’éducation environnementale pendant 7 ans. J’ai ainsi construit des projets scientifiques basés sur la démarche expérimentale avec des jeunes en partenariat avec des instituts de recherche (IRD, CNRS, IRSTEA…). Si j’adorais faire de l’éducation populaire et travailler avec la jeunesse, l’appel des grands espaces résonnait toujours. J’ai eu l’opportunité de rejoindre Noé en 2014, avec une progression linéaire, de chargé de projets à responsable de pôle jusqu’à mon poste actuel de responsable des opérations pour Parcs de Noé.

Chaque expérience m’a apporté des moments très forts mais mes plus belles rencontres sont certainement les six mois passés en forêt à Conkouati-Douli et celles avec les baleines à bosse. En République du Congo, ça a été une claque monumentale, de vivre avec une flore et une faune si riche, côtoyer les chimpanzés au quotidien, se retrouver face à face avec des gorilles, des éléphants… Les rencontres avec les baleines à bosse sont inoubliables, ce sont des interactions qui ont fait vibrer mon âme toute entière et qui m’ont marqué à vie.

Ensuite, les rencontres avec les enfants, les bénévoles, les chercheurs à Planète Science ont été toutes aussi incroyables et m’ont permis de développer une culture scientifique très large. A Noé, j’apprends tous les jours. J’ai développé une certaine expertise sur énormément de sujets, notamment sur les aspects de développement, de gouvernance et même sécuritaires… j’ai pris conscience de l’approche large et holistique de ce qu’est la conservation et ai eu la chance de pouvoir me confronter à l’ensemble de ces champs, ce qui est extrêmement enrichissant. Le but de la conservation étant de trouver des solutions à des problèmes d’intérêts généraux pour les communautés et la biodiversité, y arriver est extrêmement satisfaisant. Ce n’est pas redondant car les difficultés et les problèmes ne sont jamais les mêmes.

Pourquoi avez-vous décidé de vous engager dans la conservation de la biodiversité à l’international et en particulier dans les pays en développement ?

Les grands espaces dans le monde ont toujours eu un fort pouvoir d’attraction sur moi et, de par mon histoire familiale et personnelle, j’ai un lien particulier avec l’Afrique. Depuis tout petit, je suis attiré par ses grands espaces mais aussi par ses communautés et sa richesse culturelle. Lors de mon premier séjour en Afrique, à 11 ans à Mayotte, j’ai développé des amitiés incroyables et cela m’a ouvert au monde. Et à chacune de mes expériences j’ai eu la chance d’y rencontrer des personnes d’une grande richesse.

Termit, Niger © Noé / S. Pinchon

Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez aujourd’hui et quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confronté dans le cadre de vos actions ? Les réalisations dont vous êtes le plus fier ?

Au sein du programme Parcs de Noé, je suis le superviseur opérationnel de nos activités au Niger. Nous intervenons également au Tchad et au Congo, et j’y assiste mes collègues. Je suis aussi référent sécurité et contribue aux réflexions stratégiques et à toutes les autres activités de notre programme.

Les principaux défis auxquels nous sommes confrontés dans le cadre de nos actions sont les défis liés à la délégation de gestion des aires protégées : mettre en place une stratégie de gestion adaptée et efficiente. Pour cela, nous avons une gestion adaptative permanente. Il y a aussi un enjeu financier car nous portons la responsabilité de gestion financière et de financement des aires protégées dans lesquelles nous intervenons. C’est un défi lorsque l’on multiplie les sites et notamment, dans le cadre des mandats de longue durée qui nous sont attribués. Il y a aussi le défi sécuritaire au Niger, qui est lié à la sous-région, qui cause beaucoup de crispations et de tensions. Le prisme sur les ONG évolue avec la présence de trafiquants, de terroristes et djihadistes et cela complexifie notre travail. Depuis quelques années, le personnel ONG peut être pris pour cible (comme cela a pu être le cas au Bénin, au Burkina Faso ou au Niger) et cela a un impact sur notre travail, et une réflexion est nécessaire pour se protéger dans le futur avec l’ensemble des acteurs des aires protégées, la société civile, les communautés, les autorités et même le secteur privé.

Pélican Frisé, Monténégro © Noé / S. Pinchon

Les réalisations professionnelles chez Noé dont je suis le plus fier sont le succès de conservation des Pélicans Frisés dans les Balkans mais aussi et surtout que Parcs de Noé soit impliqué sur trois aires protégées dans trois biomes différents dans trois contextes différents. Cela montre notre capacité à s’adapter à différents contextes et enjeux avec l’équipe, et à élaborer des stratégies adaptées avec ceux qui sont sur le terrain. Ce sont les personnes sur le terrain qui nous permettent d’être légitimes, nous bénéficions de leur travail. Je suis très fier de ce travail d’équipe qui est une belle leçon d’humilité, et d’être partie prenante de cette belle aventure qui est une succession de belles rencontres.

Quel est votre espèce favorite et pourquoi ?

La baleine à bosse car j’ai eu des expériences très intimes avec cette espèce. C’est une espèce pleine de grâce et d’une incroyable douceur, aussi bien hors de l’eau que dans l’eau. Il y a une véritable interaction entre les baleines à bosse et les observateurs. De plus, c’est un véritable succès de conservation. De 25 000 individus dans les années 2000, on en dénombrerait actuellement environ 84 000 dans le monde.

Baleine à bosse © S. Pinchon / Cetamada

Comment voyez-vous l’avenir de la planète et les nombreux défis qui se posent aujourd’hui pour concilier à la fois les enjeux de protection de la nature et de développement ?

Je suis très inquiet mais combatif. La chance que j’aie, c’est d’être dans l’action et d’agir sur ces défis. Quand on est dans l’action, on a la sensation de prendre part à un effort collectif. J’agis au quotidien dans mon métier sur des territoires étendus, cela m’offre la possibilité de contribuer plus fortement à la lutte contre le changement climatique, contre l’érosion et la disparition de la biodiversité. C’est l’avenir de l’homme que nous sommes en train de compromettre mais la bonne gestion des aires protégées peut contribuer à assurer un futur aux générations à venir.

Mon métier m’a fait prendre conscience de l’interdépendance des communautés avec leur milieu de manière très forte, il s’agit donc d’améliorer leurs vies en préservant la biodiversité. Le prix de l’inaction sera bien plus important que celui de l’action, même si des erreurs pourront être commises en agissant.

Si la conservation veut avoir une chance de succès, il faut que les populations la soutiennent, et c’est le principal défi pour concilier enjeux de développement et protection de la nature. Se posent aussi la question des moyens financiers, logistiques, humains… Le jeu d’acteurs est aussi présent dans la conservation, avec des rapports de force existant qu’il convient de comprendre (intérêts nationaux, politiques, du secteur privé, des communautés, foncier, etc.).

Que vous apporte votre participation au groupe de travail Pays en développement et Biodiversité et vers quelles actions le collectif doit se tourner aujourd’hui ?

Ma participation au groupe de travail m’apporte une contribution supplémentaire au combat pour assurer un avenir à l’homme. Il est important de fédérer tous les acteurs, de faire reconnaître le savoir-faire français, de le valoriser et de le faire vivre. Il faut donner les moyens à tous les acteurs d’agir.

Le collectif doit permettre de fédérer les acteurs français et leurs expertises. J’ai la sensation que l’orientation du groupe de travail doit permettre de faire vivre cette expertise. La dynamique en place doit perdurer. Nous avons le métier le plus difficile et en même temps le plus facile : en toute humilité, la nature sait reprendre ses droits toute seule, et pour cela nous devons lui donner le temps nécessaire. Il faut donc inscrire cette dynamique dans la durée, c’est ça qui est le plus intéressant. J’aimerais également que cela permette de voir émerger des consortiums d’OSC françaises et du Sud.

Chimpanzé PNCD © S. Pinchon / HELP

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