Les zones humides sont notre « assurance-vie » face aux crises combinées du climat et de la biodiversité
A l’occasion des COP Climat et Ramsar qui se tiennent en Egypte et en Suisse, il est urgent de donner une nouvelle impulsion à la protection des zones humides qui sont de véritables solutions fondées sur la nature pour lutter contre le changement climatique et l’érosion de la biodiversité.
2022 est en passe de battre tous les records – températures, vagues de chaleur, sécheresses – en Europe, révélant la vulnérabilité de notre agriculture, de notre gestion forestière, de notre mix énergétique et de nos économies face à ces phénomènes annoncés depuis longtemps par les scientifiques mais mal anticipés.
Rhin, Loire, Pô, mais également Yangtsé ou Parana… autant de fleuves jusque-là puissants qui cet été n’étaient que des fantômes se faufilant dans un lit de sédiments craquelés par le soleil.
Dans le même temps, les rapports s’accumulent attestant l’accélération de l’effondrement de la biodiversité, tissu vivant de la planète. Les effectifs des populations de vertébrés sur la planète ont diminué de 69% depuis 1970, et cet effondrement atteint 83% pour les espèces d’eau douce[1], signe de la destruction massive des zones humides.
Ces deux crises, climat et biodiversité, sont intimement liées et s’alimentent l’une l’autre. Elles sont les deux facettes d’une crise systémique qui puise ses racines dans notre relation erronée au monde du vivant. Une relation “contre Nature”, contre ces millions d’espèces dont nous sommes partie intégrante, dépendante et solidaire.
C’est dans ce contexte de tensions inégalées que se déploie en l’espace de seulement quelques semaines une série inédite d’évènements internationaux dédiés à la nature et au climat : les Conférences des parties (COP) des traités intergouvernementaux portant sur les zones humides[2], le climat[3], le commerce des espèces[4] et enfin la biodiversité[5].
Cette séquence est une occasion unique de faire un arrêt sur image, interroger les engagements, les ambitions et les articulations entre ces traités… et donner une nouvelle impulsion.
Une transition urgente, mais entravée par de trop nombreuses résistances
Les motifs d’inquiétude ne manquent pas à l’approche de ces rendez-vous internationaux : Le rythme de disparition des zones humides sur la planète ne faiblit pas malgré les engagements répétés des Etats ; un récent rapport du PNUE[6] sur le climat montre que les progrès de la communauté internationale sont « terriblement insuffisants » pour tracer un chemin crédible vers l’atteinte des objectifs de l’accord de Paris ; côté biodiversité, après l’échec patent des objectifs d’Aïchi qui devaient engager la reconquête de la biodiversité au cours de la période 2011-2020, le nouveau cadre qui se dessine pour la décennie en cours s’annonce trop peu ambitieux et manque toujours cruellement d’un mécanisme de redevabilité des Etats.
Inventer un nouveau partage de l’eau en plaçant le vivant au centre
Accaparement de l’eau en plaine dans des méga-bassines ou en montagne pour produire de la neige de culture, « chant du cygne » d’acteurs agricoles ou touristiques qui refusent de s’adapter face à l’inéluctable. Arbitrages impossibles entre irrigation des cultures, production hydroélectrique, refroidissement des centrales nucléaires, usages domestiques ou industriels face à une eau trop rare pour satisfaire les divers besoins auxquels nos modèles de production et de consommation nous ont habitués.
Il est urgent d’accepter l’évidence, de reconsidérer notre rapport à l’eau et au vivant, de changer nos comportements qui affectent profondément le grand cycle de l’eau. Face à des besoins grandissants et à une disponibilité en eau de moins en moins prévisible et pilotable, nous devons réinventer ses usages et son partage, en laissant sa juste part à la nature. Cette nature que nous ne devons plus considérer comme une variable d’ajustement de nos systèmes de production, mais bien comme leur socle, comme le fondement de nos vies et de nos économies.
Les zones humides, pourvoyeuses de solutions face aux défis sociétaux croissants
Les zones humides[7], longtemps perçues comme insalubres, constituent l’écosystème le plus détruit de la planète, connaissant un déclin trois fois plus rapide que la forêt. Mais au fil de leur disparition, elles se révèlent être l’écosystème qui contribue le plus à l’humanité. Plus d’un milliard de personnes en dépendent directement pour leur existence et bien plus encore bénéficient de leurs pouvoirs extraordinaires. Elles sont les « reins de la nature », purifiant l’eau que nous polluons. Gigantesques éponges, elles captent les précipitations de plus en plus irrégulières et souvent massives, atténuent les pics de crue, rechargent les nappes phréatiques et soutiennent les débits des rivières lors des sécheresses plus longues et intenses. Les hydrologues l’attestent : la façon la plus efficace et durable de stocker l’eau et de la rendre disponible pour divers usages est de s’assurer que les nappes phréatiques et les zones humides soient pleinement fonctionnelles et interconnectées.
Alors que les défis sociétaux – sécurité alimentaire, changement climatique, approvisionnement en eau, santé humaine… – n’ont jamais été aussi intenses, il est urgent de protéger et restaurer massivement les zones humides. Ce sont des solutions très efficaces, peu coûteuses et offrant de multiples bénéfices collatéraux. Des Solutions fondées sur la Nature. Notre assurance-vie.
Ce texte est soutenu par
Francis Hallé, Botaniste
Erik Orsenna, écrivain, membre de l’Académie frnçaise, Président de l’Initiative pour l’Avenir des Grands fleuves
Françoise Nyssen, Editrice et ancienne ministre
Allain Bougrain Dubourg, Président de la LPO
Jean-Paul Capitani, Editeur
Vincent Munier, Photographe
Charlélie Couture, Artiste
Emma Haziza, Hydrologue
Jérôme Bignon, Président de RAMSAR France
Maud Lelièvre, Présidente du Comité français de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature
André Hoffmann, Président de la Fondation Tour du Valat
Maja Hoffmann, Fondation LUMA Arles
Vera Michalski-Hoffmann, Fondation Tour du Valat
Frédérique Tuffnell, Vice-Présidente de RAMSAR France
Wolfgang Cramer, Biologiste CNRS, Institut Méditerranéen
Patrick Duncan, Biologiste CNRS
Marc-André Selosse, Biologiste
Rémi Luglia, Président de la Société Nationale de Protection de la Nature
Véronique Andrieux, Directrice Générale, WWF France
Charlotte Meunier, Présidente des Réserves Naturelles de France
Didier Babin, Président du comité français du programme Man and Biosphere
Didier Réault, Président de Rivages de France
Jean Jalbert, Directeur général de la Tour du Valat
Jean-Marie Gilardeau, Président du Forum des Marais Atlantiques
Luc Barbier, Vice-Président du CEN Hauts de France
Laurent Godé, Secrétaire de Ramsar France
Olivier Hubert, Administrateur de Ramsar France
Geneviève Magnon, Présidente du Groupe d’études des Tourbières
Michel Métais, Président du Conseil de développement de Rochefort-Océan
Alain Salvi, Administrateur délégué de la Fédération des Conservatoires d’Espaces Naturels
Stéphan Arnassant, Responsable du pôle Biodiversité et patrimoine naturel au Parc Naturel Régional de Camargue
Alliance méditerranéenne pour les Zones humides
[1] WWF – Rapport Planète Vivante 2022
[2] COP14 de la Convention de Ramsar
[3] COP27 de la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique
[4] COP19 de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction
[5] COP15 de la Convention sur la diversité biologique
[6] Programme des Nations Unies pour l’environnement
[7] Tourbières, lacs, marais, lagunes, rivières, mangroves, étangs, deltas…