La préservation des tortues marines en Afrique : la société civile se mobilise

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Du 7 au 12 mars 2022 s’est tenu le premier Congrès africain des tortues marines. A cette occasion, Alexandre Girard, Président du Réseau des Acteurs de la Sauvegarde des Tortues Marines en Afrique Centrale (RASTOMA) dresse un état des lieux de la situation des tortues marines en Afrique et présente la dynamique de leur protection, notamment grâce aux réseaux régionaux de la société civile.

Les côtes atlantiques de l’Afrique accueillent 5 espèces de tortues marines, classées sur la liste rouge de l’UICN : la tortue olivâtre et la tortue luth (toutes deux classées vulnérables), la tortue verte (en danger), la tortue imbriquée (en danger critique), et la tortue caouanne (vulnérable). L’Afrique atlantique abrite des sites de ponte d’importance mondiale pour ces espèces : les plages du Gabon et du Congo accueillent actuellement le plus grand nombre de pontes au monde pour la tortue luth. Les tortues olivâtres pondent régulièrement le long de l’ensemble de la côte atlantique de l’Afrique depuis l’Angola jusqu’à la Mauritanie ; l’Afrique centrale et de l’Ouest héberge ainsi l’une des plus importantes populations d’olivâtre non-arribadas. Les tortues vertes pondent quant à elles en masse sur certaines îles, notamment l’île de Poilao dans l’archipel des Bijagos (Guinée Bissau) en Afrique de l’Ouest avec plusieurs dizaines de milliers de ponte de cette espèce chaque année et sur l’île de Bioko (Guinée équatoriale) en Afrique centrale. La tortue imbriquée est très rare dans la région, elle pond à Sao Tomé et cette population relictuelle de l’Atlantique Est, réduite à quelques dizaines de femelles seulement constitue une priorité de conservation à l’échelle mondiale. Enfin l’archipel du Cap-Vert est le site de ponte le plus important de l’Atlantique Est pour la tortue Caouanne.

Les eaux côtières des plateaux continentaux d’Afrique centrale et de l’Ouest sont également des aires d’alimentation où les tortues vertes et imbriquées se développent, se nourrissant sur les herbiers, et sur les fonds rocheux riches en faune et flore benthiques.

Les statuts de la liste rouge de l’UICN sont fondés sur des évaluations globales à l’échelle mondiale de ces espèces. Mais la situation régionale reste globalement inconnue en raison du manque de données pour ces espèces en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. C’est pourquoi il est urgent d’évaluer l’abondance et les tendances des populations de tortues marines en recueillant des données sur leurs sites de ponte et d’alimentation dans l’Atlantique Est.

Principales menaces et pressions

Les menaces sont nombreuses et la pression anthropique sur les tortues marines et leurs habitats est forte le long des côtes atlantiques de l’Afrique.

Les tortues sont fréquemment braconnées lorsqu’elles sortent sur les plages pour pondre. Leurs œufs sont régulièrement collectés. La consommation de la viande de tortues et des œufs est une pratique coutumière. Il existe pourtant des lois pour protéger ces espèces dans la plupart des pays d’Afrique atlantique mais leur mise en application est faible.

Les captures accidentelles des tortues marines par les pêcheurs artisanaux et les pêcheries industrielles constituent aussi une menace de premier ordre pour les tortues marines le long de la côte Atlantique de l’Afrique. Les pêcheries artisanales côtières, notamment les filets maillants interagissent fortement avec les tortues marines. La pêche industrielle et semi-industrielle à la palangre, au chalut, à la seine sont également responsables de captures accidentelles. L’impact de ces pêcheries sur les tortues marines est encore mal évalué en Afrique Atlantique et mérite d’être mieux suivi.

A cela s’ajoute le développement côtier : les constructions et extensions d’installations portuaires, l’urbanisation galopante des côtes en lien avec l’exode rural, la création de complexes touristiques, les installations pétrolières, etc. détruisent ou dégradent les habitats côtiers des tortues marines. Le réchauffement climatique provoque également une accélération de l’érosion côtière et la survenue plus fréquente d’évènements climatiques extrêmes. Ces phénomènes concourent à une plus grande vulnérabilité de la côte et à la détérioration des plages de ponte des tortues marines en Afrique.

© RASTOMA

Enfin, la pollution physique (macro et micro-plastiques) et chimique (marée noire, dégazage, etc.) sont également responsables d’une détérioration de l’habitat des tortues marines. Les plastiques déversés dans la mer peuvent en outre être ingérés par les tortues marines, provoquant une surmortalité chez ces espèces déjà menacées.

Les outils et solutions disponibles pour protéger les tortues marines

Sur le terrain ces vingt dernières années, les Etats d’Afrique de l’Ouest et du Centre ont accéléré la sanctuarisation de zones côtières et marines en créant des aires marines protégées (AMP). Ces AMP sont une bonne nouvelle pour les tortues marines et certaines d’entre-elles ont été créés pour protéger ce groupe d’espèces sous l’impulsion des ONG (Grand bérébi en Côte d’Ivoire sous l’impulsion de CEM, Pointe Indienne en cours de création en République du Congo sous l’impulsion de Rénatura). Toutefois, la délimitation d’une AMP promulguée par la loi sur le papier ne protège pas. Les Etats oublient très souvent d’allouer des moyens humains et financiers pour la gestion de ces AMP et, le plus souvent, la protection effective de ces territoires dits protégés n’est pas réelle. Dans le meilleur des cas, de grandes ONG internationales de la conservation lèvent des fonds et créent des partenariats avec les Etats pour cogérer les Aires Protégées. Cette situation n’est pas souhaitable sur le long terme et il convient que les Etats africains s’emparent du sujet et fasse de la conservation de la biodiversité et de la gestion des Aires protégées une priorité méritant des moyens importants.

Les tortues marines sont des espèces qui se déplacent parfois sur des milliers de kilomètres au cours de leur développement et entre leurs sites de reproduction et leurs sites d’alimentation. Elles peuvent utiliser l’ensemble de la bande sableuse littorale pour pondre et broutent dans les eaux côtières peu profondes pour les espèces herbivores et omnivores, ou chassent dans l’Océan ouvert pour les espèces carnivores. La protection de territoires circonscrits dans les AMP n’est donc pas une approche suffisante pour les protéger. C’est pourquoi l’action des communautés, des usagers de la mer et de la société civile est cruciale : les acteurs non-étatiques sont les seuls à assurer la protection de ces espèces en limitant l’impact de l’homme dans les zones dites banales, à l’extérieur des aires protégées où les lois fauniques protégeant les tortues marines ne sont, la plupart du temps, pas mise en application.

A la fois à l’intérieur des parcs, en périphérie et en zone banale, le rôle des organisations de la société civile (OSC) et les initiatives communautaires locales est donc primordial. Ce sont souvent les seuls acteurs qui protègent concrètement les tortues marines sur leurs plages de ponte le long de la côte Atlantique de l’Afrique. Certaines OSC travaillent avec les pêcheurs pour relâcher les tortues marines capturées dans les engins de pêche. D’autres viennent renforcer les capacités des gestionnaires des AMP notamment en faisant le lien avec les communautés côtières.

Le secteur privé qui exploite les ressources marines et côtières ou développe des installations côtières est pour l’instant insuffisamment impliqué dans la protection de la biodiversité et des habitats naturels côtiers : les impacts des activités sont évalués dans le cadre d’études d’impacts mais les solutions de compensation et de réduction des impacts prévisibles sont rarement mises en œuvre. Il existe une importante marge d’amélioration dans ce domaine en Afrique atlantique et les OSC ont un rôle à jouer notamment de plaidoyer.

© RASTOMA

L’organisation de la société civile en réseaux régionaux

Pour augmenter leur efficacité face à ces nombreux enjeux, les OSC de conservation des tortues marines se sont organisées en réseaux régionaux : le Rastoma (réseau des acteurs de la sauvegarde des tortues marines en Afrique centrale) a ainsi été créé en 2012. Rastoma fédère actuellement 11 OSC et couvre les 6 pays d’Afrique centrale donnant sur l’Atlantique : la République Démocratique du Congo, la République du Congo, le Gabon, Sao Tomé et Principe, la Guinée Equatoriale et le Cameroun. Deux réseaux frères sont nés plus récemment : Wastcon (West African Sea Turtle Conservation Network) couvrant 6 pays d’Afrique de l’Ouest : le Nigeria, le Bénin, le Togo, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Libéria ainsi que NAST-Net (North African Sea Turtle Network) couvrant 5 pays d’Afrique du Nord : le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye et l’Egypte. La dynamique des réseaux permet d’abord de renforcer mutuellement les capacités des acteurs et de généraliser les bonnes pratiques de conservation. Elle permet ensuite d’organiser collectivement le plaidoyer pour le rendre plus efficace. Enfin, elle permet de standardiser la collecte de données sur le terrain pour mieux la valoriser et produire de bons indicateurs de l’état des populations et d’objectivation des menaces. Grâce à notre dynamique réseau en Afrique centrale, nous sommes en train de combler les lacunes d’évaluation des tendances de population pour les tortues luth et les tortues olivâtres. Le Rastoma renforce actuellement le réseau Wastcon pour que le comblement de ces lacunes suive en Afrique de l’Ouest. Ainsi, dans 5 ans, l’objectif visé est de documenter pour la liste rouge de l’UICN le statut régional de menaces des 5 espèces de tortues marines dans l’Atlantique Est.

La génèse et le rôle du RASTOMA

Rastoma, le réseau des acteurs de la sauvegarde des tortues marines en Afrique centrale est né en 2012 au Congo-Brazzaville. Après la disparation du réseau Protomac, qui s’était essoufflé faute de fonds en 2010, quelques acteurs de terrain ont décidé de créer un nouveau réseau avec pour premier objectif de créer du lien entre les acteurs tortues marines de la sous-région et d’initier une dynamique régionale avec une gouvernance forte pour s’assurer que le réseau réponde aux besoins et attentes de ces membres.

La vision du réseau est d’assurer le maintien des populations de tortues marines en Afrique centrale, en renforçant l’impact positif des actions des organisation de la société civile dans la sous-région. Le réseau agit d’abord pour renforcer les capacités de la société civile afin de professionnaliser les acteurs, augmenter leur légitimité et leur crédibilité. Nous portons une attention particulière à l’insertion de l’action de la société civile organisée en réseau dans le jeu d’acteurs institutionnels : en renforçant les capacités des institutions en matière de suivi et de conservation des tortues marines, en renforçant le pouvoir d’influence des OSC et l’impact de leur plaidoyer, en siégeant aux réunions d’établissement des plans d’actions nationaux et régionaux pour la conservation marine et côtière.

Notre objectif est de servir de courroie d’entrainement, de locomotive, pour entraîner dans notre sillage une large diversité d’acteurs communautaires, publiques et privés afin d’aboutir à une gestion raisonnée et durable de l’espace côtiers marins et de ses ressources et une protection maximale des tortues marines et de leurs habitats naturels.

Concrètement, pour atteindre ses objectifs, le réseau Rastoma organise un congrès annuel où tous les membres peuvent échanger et renforcer leurs capacités. Des sessions de renforcement de capacités sont régulièrement organisées en présentiel et de plus en plus en distanciel. Rastoma met également à la disposition de ses membres des ressources sur son site Internet. Grâce au réseau, les suivis de terrain alimentent les initiatives de rapportages internationaux tels que celui du Marine Turtle Specialist Group de l’UICN. Les acteurs alertent, échangent et communiquent activement via notre page Facebook. Des voyages d’échanges d’expérience sont organisés. Et le réseau est désormais convié par des institutions nationales, régionales et internationales à participer à plusieurs dossiers stratégiques en lien avec les tortues marines (OFAC, GBIF, UICN).

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La vision « 3 réseaux » et l’importance d’une coordination à l’échelle du continent africain

A partir de 2017, les actions du Rastoma ont gagné en visibilité et plusieurs OSC d’Afrique de l’Ouest ont manifesté leur intérêt pour rejoindre le réseau. Les membres du Rastoma ont décidé en assemblée générale de ne pas étendre le réseau à l’Afrique de l’Ouest afin de rester proche du terrain et pour préserver une certaine cohérence géographique. Pour ne pas laisser cette demande sans réponse, le choix a été fait d’accompagner l’émergence d’un second réseau, indépendant du Rastoma et initié par des acteurs d’Afrique de l’Ouest eux-mêmes. Avec le soutien de l’UICN PACO, le Rastoma a donc organisé une première réunion en Côte d’Ivoire en 2018 pour accompagner l’émergence de ce nouveau réseau, ce qui a donné naissance à Wastcon. Wastcon est désormais une entité associative légalement déposée en Côte d’Ivoire, et compte à ce jour 15 OSC membres dans six pays d’Afrique de l’Ouest.

Notre vision est celle d’un développement de réseaux autonomes, couvrant des géographies cohérentes et restreintes capables de s’adapter au contexte et restant proche du terrain et de l’action. Dotés de gouvernances indépendantes, ces réseaux se développent en parallèle et dans l’échange. Grâce à cette co-construction, les trois réseaux souhaitent être capables de se mobiliser ensemble lorsqu’une problématique, une thématique le justifient.

Il n’existe donc pas de coordination à l’échelle du continent à proprement parler, il s’agit d’un dispositif « agile », constitué de trois réseaux à taille humaine, bien ancrés dans des biogéographies et des contextes humains différents, avec des cultures associatives proches et capables de se mobiliser ensemble pour protéger un groupe d’espèces menacées : les tortues marines.

Une des pierres angulaires de ce dispositif est notre Congrès régional africain. Jusqu’en 2018, Rastoma organisait son Congrès en Afrique centrale, pour regrouper ses membres, renforcer leurs capacités lors d’ateliers et de conférences et tenir son assemblée générale. Avec l’émergence de nos deux réseaux frères, le congrès est devenu un moment fort d’échange entre les réseaux. En 2020 à Lomé au Togo nous avons tenu notre premier congrès à deux réseaux : Wastcon et Rastoma. Cette année, du 7 au 12 mars 2022, à Cotonou au Bénin, nous avons réuni les trois réseaux : Nast-Net, Wastcon et Rastoma. Avec plus de 70 participants et 17 pays d’Afrique représentés, notre congrès annuel est devenu un moment d’échange privilégié pour construire une dynamique africaine en faveur des tortues marines. Le rendez-vous est déjà pris en 2024 pour une nouvelle édition de notre congrès 3 réseaux qui se tiendra alors en Tunisie.

Bilan du premier Congrès africain des tortues marines et prochains défis à l’échelle de la dynamique « 3 réseaux »

Cinq jours d’échanges et de formation nous ont permis de renforcer nos liens et de fixer des priorités communes aux trois réseaux.

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Le premier souhait de tous est l’échange d’expérience et le renforcement mutuel entre les trois réseaux. Concrètement, les trois réseaux ont décidé de travailler à la mise en place d’une plateforme commune pour y partager des ressources documentaires : support d’éducation et de sensibilisation, de plaidoyer, protocoles de suivi et minimum standards, bibliographie, etc. Une plateforme de communication commune est également souhaitée, par exemple via les médias sociaux. Les membres des trois réseaux placent aussi en priorité le renforcement mutuel des capacités et la promotion des bonnes pratiques en matière de conservation des tortues marines. Ils souhaitent également travailler ensemble pour renforcer l’impact de leur plaidoyer.

Dans la perspective d’une stratégie régionale en faveur des tortues marines intégrant toutes les énergies positives, ce congrès a aussi été l’occasion de dialoguer avec des institutions régionales partenaires : la Convention sur les Espèce Migratrice (CMS-Bonn), le bureau régional Afrique de l’Ouest de l’UICN, le Réseau des Aires Marines Protégées d’Afrique de l’Ouest (Rampao), le réseau des Aires protégées de Méditerranée (MedPan). La prochaine étape consistera à construire un plan d’action régional. Notre vision est de mettre en action ces priorités établies en congrès pour dynamiser le Mémorandum d’accord pour la conservation des tortues marines le long de la côte Atlantique de l’Afrique. Ce Mémorandum dit Mémorandum d’Abidjan a été initié en 1999, sous l’égide de la CMS et ratifié depuis par 23 pays d’Afrique Atlantique, il est accompagné d’un plan d’action révisé en 2008. Ce plan d’action n’a toutefois jamais donné lieu à une mise en œuvre concrète. C’est pourquoi nous intensifions désormais les échanges avec le secrétariat de la CMS pour travailler ensemble afin de valoriser l’énergie des OSC dans le cadre institutionnel de ce mémorandum. Rastoma a d’ailleurs d’ores et déjà organisé un atelier en partenariat avec Wastcon et Nast-Net pendant le Symposium International sur les Tortues Marines (International Sea Turtle Symposium, ISTS) le 25 mars 2022 pour rencontrer le secrétariat de la CMS et préciser les contours d’un plan d’action commun.

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