Pour la spécialisation des juridictions en droit de l’environnement

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Dans une tribune au « Monde », Sébastien Mabile, avocat et président de la commission du droit et des politiques environnementales de l’UICN France, estime que, face aux défis écologiques actuels et à venir, la France devrait s’engager à promouvoir la spécialisation des juges ou des juridictions en droit de l’environnement.

En septembre 2016, des juges de la cour suprême de l’Etat de Hawaï m’expliquaient que, selon toutes les prévisions climatiques, le quartier de Waikiki Beach à Honolulu serait submergé d’ici une quinzaine d’années. Face à l’immensité des pertes et dommages qui en résulteraient, ils reconnaissaient ne pas être prêts à traiter les demandes d’indemnisations et les recherches de responsabilités. Ce constat les avait poussés à créer deux ans plus tôt la première cour environnementale des Etats-Unis, juridiction bénéficiant de magistrats spécialisés et spécialement formés.

Les événements récents subis par le Texas et la Floride apporteront inévitablement leur lot de procès. Les juridictions de ces Etats y sont-elles préparées ? En août, plusieurs villes californiennes assignaient devant les tribunaux des compagnies pétrolières pour leur demander d’assumer les coûts d’adaptation aux changements climatiques.
Plus près de nous, la cour administrative d’appel de Bordeaux a condamné en juin 2016 une commune de l’agglomération de La Rochelle à indemniser des propriétaires de terrains non bâtis classés en zone noire après la tempête Xynthia. Il était reproché aux élus d’avoir délivré des autorisations d’urbanisme dans une zone potentiellement exposée aux risques de submersions. A Paris, l’accélération des politiques en faveur du vélo s’explique en partie par le risque, pour Mme Hidalgo, de devoir un jour rendre compte de ses actions aux victimes de la pollution automobile.

L’accélération brutale du rythme des catastrophes met progressivement en lumière une nouvelle branche du droit constituée par les recherches de responsabilités liées aux pertes découlant de l’évolution du climat et des atteintes à l’environnement. L’institution judiciaire, faute de spécialisation, n’est pourtant pas préparée à accueillir les victimes de ces catastrophes ou de ces pollutions, et à traiter ce contentieux émergeant, aujourd’hui noyé parmi les affaires de droit commun.

Ailleurs, ce sont 44 Etats ou provinces qui se sont engagés dans la voie de la spécialisation des juges ou des juridictions en matière d’environnement. Ces réformes ont permis, en Chine, en Inde, au Kenya ou en Nouvelle-Zélande, de faire appel à des juges spécialisés et parfois assistés par des spécialistes des sciences de la vie pour appréhender l’ensemble des conséquences d’un dommage environnemental, poursuivre et sanctionner leurs auteurs, et enfin, réparer les préjudices qui en découlent. L’Espagne et la Suède ont créé un parquet national environnement qui, à l’instar de notre parquet national financier, dispose de moyens propres et d’assistants spécialisés.

Responsabilité particulière
La France a une responsabilité particulière : doté d’une biodiversité unique et de paysages qui en font la première destination touristique au monde, notre pays doit mener un combat sans pitié contre ceux qui souillent la nature, détruisent les espèces, polluent notre environnement et modifient le climat. Il en va de notre survie. Certains de nos territoires, particulièrement dans les outre-mers, sont particulièrement exposés aux changements climatiques. Les événements récents vécus par les populations des Antilles nous le rappellent cruellement.

Les membres de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) ont adopté lors du dernier Congrès mondial de la nature, en septembre 2016 à Hawaï, une motion invitant les Etats à créer des cours et tribunaux spécialisés dans le domaine de l’environnement. Une vingtaine d’organisations de protection de la nature ou des animaux se sont associées à l’appel lancé en juin par le comité français de l’UICN, visant à mettre en œuvre cette motion en France.
Nicolas Hulot affirmait, le 8 septembre sur France 2, que « le pire est devant nous » et qu’il faut réunir « toutes nos intelligences ». Toutes les composantes de la société doivent en prendre conscience, y compris l’institution judiciaire, vers qui se tourneront inévitablement les victimes de ces catastrophes.



Sébastien Mabile est le président de la commission droit et politiques environnementales du Comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

 

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Florence Clap, Chargée du programme « Politiques de la biodiversité »

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