Interview de Damien Martin
Coordinateur du volet développement organisationnel pour le compte du PPI en Afrique de l’Ouest et membre du Groupe de travail Pays en développement & Biodiversité

© AFROTO
Damien, vous travaillez aujourd’hui en tant que Consultant en charge du développement organisationnel des acteurs de la société civile d’Afrique de l’Ouest pour le Programme de Petites Initiatives (PPI). Pouvez-vous vous présenter, et préciser notamment les raisons qui vous ont conduit à travailler dans la protection de la nature ?
Alors que dire de plus pour me présenter…peut-être commencer par dire que j’ai la chance de vivre – depuis une 20aine d’année – au Sud du Bénin, dans un petit coin de campagne situé au bord d’un marécage verdoyant plus connu sous le nom de ‘’Vallée du Sitatunga’’. Ajouter qu’avec mon épouse, Chantal, nous avons deux filles : Divine-Nature (13 ans) et Sagesse (10 ans). Avec elles, et l’aide précieuse de trois supers collègues : Sathurnin, Henock et Naomie nous faisons vivre une petite ferme pédagogique avec l’objectif à l’échelle de notre agrosystème de puiser dans la richesse de la biodiversité cultivée pour tendre vers notre souveraineté alimentaire collective tout en observant les effets de nos pratiques agroécologiques sur le retour de la biodiversité sauvage. Et ce faisant travailler sur nos capacités à cohabiter avec elle tout en essayant de réduire les risques potentiels sur les humains et les dégâts sur nos productions. A ce jour, depuis notre petite parcelle d’1,25 hectare nous avons ainsi pu observer 72 espèces d’oiseaux, 40 espèces de reptiles et 14 espèces de petits mammifères.
Pour ce qui est de l’origine de mon engagement pour la Nature, il prend sa source dans mon enfance et je le dois à ma mère. C’est elle, qui petit nous a transmis à mon frère et moi, son respect et sa grande curiosité envers toutes les autres formes de vie (humaines comprises) avec lesquelles nous co-existons. Elle a également su me partager son goût pour les paysages de forêts et de bocages et sa grande fascination pour les arbres, merveilles végétales que trop souvent nos yeux ne voient plus ou du moins ne contemple plus. Grâce à elle, enfant, nous avons notamment passé le plus gros de nos temps libres à courir les champs, à construire des cabanes dans les bois, à nous baigner dans les lacs ou à patauger dans les rivières !
Animée d’une puissante fibre militante, ma mère met jusqu’à ce jour cette énergie au profit d’initiatives associatives diverses qui contribuent à penser et / ou à défendre une certaine vision politique du monde auquel elle aspire. C’est donc aussi d’elle que je tiens ma propre appétence pour la vie associative au service de sociétés humaines plus équitables et respectueuses de tous nos autres cohabitants à feuilles, épines, poils, plumes, écailles…
Quel est votre parcours professionnel et quelles sont vos plus belles expériences ?
Comme beaucoup, mon parcours professionnel n’est pas vraiment linéaire et donc pas forcément simple à raconter en quelques mots. Ainsi, après avoir obtenu un BTS en aquaculture en France (au cours duquel j’ai eu à faire mes premiers pas en Afrique de l’Ouest), j’ai tout de suite migré vers le Bénin pour intégrer un dispositif de volontariat franco-allemand-béninois. Celui-ci avait pour objectif de contribuer à réaliser le 1er inventaire des petits poissons à potentiel aquariophile des plans d’eau du Bénin. C’est au cours de ce volontariat que j’ai fait équipe et me suis lié d’amitié avec Martial, agronome béninois fraichement diplômé. C’est avec lui que naitra l’idée, en 2004, de créer CREDI-ONG, une association béninoise de protection de la Nature devenu assez tôt partenaire historique du PPI (un clin d’œil au passage à Gaëtan QUESNE qui nous aura accompagné dans nos toutes premières démarches de rédaction de projet PPI en 2007). J’aurais occupé la fonction de Directeur Technique de cette organisation pendant 15 ans avant de rejoindre le PPI comme consultant en 2020. Une fonction qui m’aura ouvert les portes à un feu d’artifice d’expériences extrêmement diverses et enrichissantes qu’il me sera malheureusement compliqué de relater ici faute de place… Toutes puisaient leurs origines dans notre volonté de contribuer à l’émergence d’une génération de citoyens du monde apte à proposer et mettre en œuvre des solutions locales et durables pour un développement humain respectueux de la nature. Aussi, si dans cette mission on remplace ‘‘citoyens du monde’’ par ‘‘société civile’’, je trouve que mes fonctions actuelles au PPI vont dans la même direction me permettant ainsi d’avoir la chance de vivre économiquement de ce qui donne sens à ma vie. Enfin, de tous les cadeaux que ma vie professionnelle m’a offert jusque-là, je suis convaincu que le plus beau d’entre tous c’est la multitude de belles personnes qui m’ont accueilli à leur côté (souvent chez elles, dans leur famille) et ont partagé avec moi leur passion pour leur métier, leurs diverses façons d’être au monde ou leur univers de vie et de pensée. Il me plait d’en citer ici quelques-unes à qui je dois beaucoup : Arnaud LEFEVRE, Sandrine MARCHAND, Jan KAMSTRA, Yann HUCHEDE, Romain CHANOINE, Samuel MARTIN, Anne-Marie PEYRE, feu René SEGBENOU, Mère Jah et bien sûr aujourd’hui tous mes collègues actuels au PPI Nicolas, Paul, Marie, Hafida, Aurélien, Emmanuel et Thomas qui m’accompagnent avec beaucoup de patience et de bienveillance dans mes fonctions actuelles de coordinateur.

Equipe PPI © AFROTO
Pourquoi avez-vous décidé de vous engager dans la conservation de la biodiversité à l’international et en particulier dans les pays en développement ?
Comme expliqué précédemment et un peu comme Obélix, je suis tombé dedans quand j’étais petit ! J’ai ainsi passé des journées de mon enfance à capturer tout un tas de petites bêtes diverses tels que couleuvres, orvets, crapauds, grenouilles, limaces, escargots, vairons, porte-bois, crevettes, crabes… qui ont malgré eux nourri mon instinct de petit prédateur (et oui, même si je ne tuais pas ou peu, il doit y avoir un peu de ça !) et mon appétit naturaliste. Aussi, jusqu’à ce jour cette passion (potion ?) magique pour le vivant m’habite et j’ai plaisir à essayer de la transmettre autour de moi avec tout type de public. Quand au choix de vivre et / ou travailler dans un pays du ‘‘Sud’’ je ne l’avais pas spécialement pensé ou voulu. Cela s’est fait assez naturellement par le biais des propositions que la vie m’a faite (je ne peux le dire autrement car je n’ai pas le souvenir de m’être ‘‘battu’’ pour obtenir quelque chose), il y a eu la naissance de CREDI-ONG, la rencontre avec mon épouse, la naissance de nos filles, la création de notre ferme, le PPI… et je ne le regrette pas du tout. Au contraire, vivre de ce côté du monde aiguise ma sensibilité aux enjeux globaux, renforce ma soif d’équité sociale et stimule mon envie d’être force de proposition…
Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez aujourd’hui et quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confronté dans le cadre de vos actions ? Les réalisations dont vous êtes le plus fier ?
Dans le cadre de mes fonctions au PPI, je ne travaille pas directement sur la mise en œuvre de projets de conservation. En effet, avec ma casquette de coordinateur en charge des activités de développement organisationnel à destination des partenaires ouest-africain du PPI, j’ai plutôt à cœur que le fruit de mon travail (lui-même fruit du travail d’une équipe) leur permettent de gagner en robustesse afin de résister (car c’est de ça dont il s’agit je crois) le temps nécessaire pour que selon leurs aspirations, ils acquièrent de l’expérience, affûtent leur stratégie et obtiennent les changements de comportements, de pratiques et / ou de politiques qu’ils jugent utiles / nécessaires pour soutenir diverses façons concrètes de ‘‘faire société avec la Nature’’ adaptées à leur contexte d’intervention.
A ce titre ma plus grande satisfaction est de pouvoir assister à l’éclosion puis à l’émergence (la force du temps longs dans un même territoire) de vocation naturaliste et/ou agroécologiste chez des jeunes que j’ai eu à côtoyer dans le cadre de clubs nature ou de stages. A une autre échelle, il est tout aussi satisfaisant de pouvoir savourer la belle trajectoire militante de certaines organisations ouest-africaines que j’ai la chance d’accompagner depuis maintenant 5 ans grâce au PPI.

Ferme agroécologique © Damien Martin
Quelle est votre espèce favorite et pourquoi ?
Sans être exclusif, ce sont les martins pêcheurs. En effet au-delà du fait que nous soyons parenté par le nom et par notre penchant pour la pêche. Depuis mon enfance et mes premiers affûts au bord de l’eau et jusqu’à ce jour, les Martin-pêcheur me fascinent. D’abord par leurs couleurs souvent chatoyantes (selon les espèces) ensuite par leur vol en flèche imprimant davantage dans nos rétines le souvenir de son passage plutôt que son passage lui-même. Et enfin par leur aptitude à passer chaque jour de longues minutes perchées sur une branche entre veille active et contemplation nonchalante sans qu’on puisse toujours savoir ou commence l’une et ou fini l’autre. Pour toutes ces raisons, j’en ai fait ce que beaucoup de peuples premiers appelleraient leur animal sacré. Ce faisant, j’ai plaisir à marquer un arrêt, à les saluer et à les remercier chaque fois que j’ai l’honneur d’en observer un.
Comment voyez-vous l’avenir de la planète et les nombreux défis qui se posent aujourd’hui pour concilier à la fois les enjeux de protection de la nature et de développement ?
De la planète, je l’ignore, mais de l’humanité à l’échelle globale : sombre malheureusement ! Toutefois, de nature optimiste et volontiers rêveur, j’ai plaisir à me confronter à la difficulté épanouissante de vivre dans une recherche de cohérence avec les sensibilités et les valeurs qui sont les miennes. Notre ferme s’inscrit également dans cette démarche et étant visitable elle nous permet de pouvoir partager nos choix de vie avec nos visiteurs et d’esquisser nos rêves de sociétés pourvoyeuses de bien-être pour toutes les manières d’exister.

Poulailler © Damien Martin
Que vous apporte votre participation au groupe de travail Pays en développement et Biodiversité et vers quelles actions le collectif doit se tourner aujourd’hui ?
Complétement autodidacte sur ces sujets de conservation de la biodiversité et de développement, prendre part aux activités du GT est d’abord utile pour nourrir ma curiosité personnelle et poursuivre ma démarche d’apprentissage. Dans le cadre de mes fonctions de coordinateur pour le compte du PPI, participer aux rencontres du GT c’est aussi l’occasion d’identifier des personnes / organisations avec qui il serait potentiellement intéressant de faire du lien au profit des partenaires ouest-africains que j’accompagne. Pour ce qui est des pistes d’actions à entreprendre par le collectif, j’en vois plusieurs :
- Tout d’abord je trouverais intéressant de pouvoir discuter des inquiétudes suscitées par la réduction et le risque de marchandisation de l’Aide Publique au Développement française. Quelle réaction construire au nom du GT face à cette situation ? Comment s’adapter à l’échelle individuelle et collective ?
- Ensuite, j’apprécierai qu’à côté des espaces de partage d’expériences nous puissions aussi créer des espaces ou faire vivre de l’utopie et/ou accueillir de la pensée philosophique en lien avec notre cœur de métier.
- Enfin, je rêve que nous puissions poursuivre nos efforts pour nous ouvrir encore davantage aux acteurs du Sud avec lesquels nous travaillons.