Interview de Chloé Orland
Référente Ecologue au sein d’Action Contre la Faim France et membre du Groupe de travail Pays en développement & Biodiversité
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© Chloé Orland
Chloé, vous travaillez aujourd’hui en tant que Référente Ecologue au sein d’Action Contre la Faim France. Pouvez-vous vous présenter, et préciser notamment les raisons qui vous ont conduit à travailler dans la protection de la nature ?
J’ai toujours été attirée par le monde naturel, avec un grand désir de comprendre comment il fonctionnait. J’ai grandi à Paris mais une année passée en Californie durant mon enfance a éveillé ma passion pour les milieux aquatiques, des rivières à l’océan. En découvrant la richesse de ces écosystèmes et de la nature dans son ensemble, j’ai compris que je voudrais consacrer ma carrière à mieux la comprendre pour mieux la protéger.
Quel est votre parcours professionnel et quelles sont vos plus belles expériences ?
J’ai étudié la biologie à l’Université d’Oxford, où j’ai découvert l’écologie comme discipline scientifique. Ma passion pour l’océan m’a ensuite conduite à un master en biologie marine à l’Université de Plymouth durant lequel j’ai exploré la complexité structurelle des algues en tant qu’habitats pour invertébrés marins. Après des stages sur la pêche et au sein de la Commission Océanographie Intergouvernementale de l’UNESCO, j’ai effectué mon doctorat à l’Université de Cambridge sur les liens entre les écosystèmes terrestres et aquatiques. C’est à cette occasion que j’ai découvert l’écologie moléculaire : je séquençais l’ADN environnemental dans les sédiments de lac afin d’identifier les différentes espèces microbiennes présentes et leurs fonctions. Cette expérience m’a amenée à me spécialiser en génomique environnementale lors de mon postdoctorat à l’Université de Californie Santa Cruz, où j’ai également été très impliquée dans l’enseignement.
Mes expériences sur le terrain restent parmi mes souvenirs les plus marquants. On ne mesure pas toujours l’importance de la créativité dans les projets d’écologie. Les obstacles sont nombreux – météo, prédateurs, rapports humains, limitations technologiques – et il faut constamment faire preuve d’ingéniosité et d’adaptabilité, sur les plans technique comme humain. J’ai tiré un grand enseignement de ces expériences, que j’ai eu la chance de vivre dans des lieux extraordinaires comme les forêts boréales canadiennes, la côte ouest des Etats Unis ou encore la savane rwandaise.
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Laboratoire au Rwanda © Ren Larison
Pourquoi avez-vous décidé de vous engager dans la conservation de la biodiversité à l’international et en particulier dans les pays en développement ?
J’étais précédemment chercheuse dans le monde universitaire. Bien que mes sujets de recherche me passionnaient, je commençais à me lasser de l’aspect méthodologique de mon travail. Il était temps pour moi de quitter la paillasse pour aller à la rencontre des communautés directement affectées par des projets de conservation.
Mon intérêt pour les liens entre changements climatique et environnemental et sécurité alimentaire s’était renforcé durant ma thèse. J’avais rejoint la Fondation JR Biotek, dont l’objectif est de former des chercheurs africains dans le domaine de la sécurité alimentaire et nutritionnelle, tout en favorisant la santé et la durabilité environnementale.
Intégrer une organisation d’aide internationale, comme ACF, qui n’est pas spécialisée dans la conservation, m’offrait une opportunité unique d’y apporter mes connaissances scientifiques et de combiner mon intérêt de toujours pour les enjeux sociaux et environnementaux.
Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez aujourd’hui et quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontée dans le cadre de vos actions ? Les réalisations dont vous êtes la plus fière ?
Mon rôle aujourd’hui est multiple. Le mandat d’ACF est de lutter contre la faim et ses causes profondes, notamment le changement climatique et la perte de biodiversité. Je travaille à développer l’approche écosystémique d’ACF pour décloisonner cette lutte, en identifiant les enjeux environnementaux et climatiques auxquels sont confrontées les communautés avec lesquelles nous collaborons. Ce travail est nécessairement multisectoriel, car ces enjeux impactent aussi bien la sécurité alimentaire, la gestion de l’eau, la santé ou la nutrition. Ils doivent également être intégrés aux problématiques liées au genre. J’accompagne les équipes sur le terrain dans le développement de nouveaux projets, que ce soit lors de leur conception, leur mise en œuvre ou même dans le cadre de projets de recherche.
Par exemple, j’ai participé à un projet d’agroécologie au Zimbabwe visant à diversifier les pollinisateurs alternatifs aux abeilles mellifères en enrichissant les parcelles agricoles avec des semences attractives pour ces pollinisateurs. En Sierra Leone, nous travaillons actuellement sur la protection des mangroves, en promouvant des moyens de subsistance alternatifs à l’exploitation du bois. Je propose également des formations, guides et manuels à nos équipes, qui viennent principalement du monde humanitaire et ont souvent moins de connaissances sur les thématiques environnementales.
Enfin, au-delà de cette transformation en interne, il existe un véritable enjeu de visibilité externe. Je m’efforce de bâtir des ponts avec des organisations environnementales et de conservation, qui sont des partenaires indispensables si nous voulons réellement intégrer la gestion durable des ressources naturelles dans nos actions.
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Visite terrain au Zimbabwe © Chloé Orland
Quel est votre espèce favorite et pourquoi ?
Difficile de choisir ! J’ai toujours eu un faible pour les invertébrés marins, et en me plongeant dans le séquençage de l’ormeau noir j’ai découvert une espèce fascinante. Sa capacité à résister aux vagues et à s’adapter aux conditions changeantes des marées en fait une espèce d’une résilience extrême. J’aime aussi la symbolique de son apparence physique : son extérieur, terne et discret, cache une beauté intérieure spectaculaire, avec un nacre argenté, irisé. Cette coquille nacrée, d’une solidité unique dans la nature, est d’ailleurs ce qui lui donne toute sa force physique face aux vagues et aux prédateurs. Enfin, son importance culturelle et historique est immense : des traditions des peuples autochtones du Pacifique à son commerce, en passant par son lien avec les loutres de mer, cette espèce dépasse son rôle écologique pour marquer profondément l’histoire et la démographie de toute une région du continent américain.
Comment voyez-vous l’avenir de la planète et les nombreux défis qui se posent aujourd’hui pour concilier à la fois les enjeux de protection de la nature et de développement ?
J’essaye de rester positive. J’ai le sentiment qu’il y a un désir de mieux concilier ces enjeux, de ne plus dissocier l’humain de son environnement. Nous pouvons désormais tirer parti de nos échecs passés pour avancer avec des approches qui ont fait déjà fait leurs preuves.
Cela dit, j’ai encore souvent l’impression que la nature est reléguée au second plan et que son importance, même envisagée sous un prisme anthropocentré, reste largement sous-estimée. Il est crucial de mieux communiquer sur les liens entre faim, climat, biodiversité et santé – un nexus qui nécessite une action concertée.
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COP 16 © Nicolas Salaün
Que vous apporte votre participation au groupe de travail Pays en développement et Biodiversité et vers quelles actions le collectif doit se tourner aujourd’hui ?
ACF a fait preuve de vision en créant un poste d’écologue au sein d’une organisation humanitaire. À ce jour, je crois que nous sommes parmi les rares organisations de ce type à avoir pris une telle initiative. Il m’a donc semblé essentiel de nouer des liens avec d’autres acteurs de la biodiversité, qu’ils travaillent dans l’aide internationale ou le secteur environnemental.
Ce groupe de travail dépasse mes attentes ! J’y ai fait de précieuses rencontres, je me tiens informée des projets de conservation réussis et des approches communautaires innovantes, et je participe à des ateliers enrichissants. Grâce à ce réseau, j’ai également eu l’opportunité de participer à la COP16 à Cali. C’était la première fois qu’ACF y était représentée, et je suis extrêmement reconnaissante au GT de m’avoir permis de faire ce déplacement.
Je pense que les prochaines étapes du collectif consistent à combiner nos compétences et expériences, à communiquer et co-construire, afin que nous perdions le moins de temps possible à œuvrer, ensemble, en faveur de la nature et de l’humanité.